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Sommes-nous des faux libéraux ?

julien-pourcel-edito

Ceci est la retranscription d'un email que j'ai envoyé à des confrères pour discuter de l'état de l'exercice libéral. Ma motivation était de récolter vos avis, vos histoires et vos réflexions pour tenter, ensemble, de trouver des moyens faciles à mettre en oeuvre à l'échelle de nos cabinets médicaux pour améliorer nos conditions d'exercice. Je vous invite à réagir et continuer la discussion en commentant ce billet. Bonne lecture !

Cette question, un peu brutale, est une invitation à prendre quelques minutes pour observer la direction que prend notre profession.

C'est dans un contexte assez inattendu, attablé autour d'un bon repas chez des amis, que j'ai été amené à faire une véritable introspection de mes aspirations libérales et dont les conclusions m'ont amené à vous écrire.

Présentant mon parcours professionnel à l'un des convives, ma fille de 10 ans se tourne vers moi et m'interroge avec l'innocence que seul peut avoir un enfant : "Papa, ça veut dire quoi : être libéral ?". Légèrement désarmé, je réponds spontanément en évoquant l'indépendance, la liberté d'installation, la flexibilité dans son organisation, bref : "Papa peut pratiquer la médecine comme il l'entend". L'air satisfaite, la conversation se poursuit sur d'autres sujets…

Pourtant, le repas achevé, cette question monopolisa mes pensées et, à ma grande surprise, me remua bien plus que la digestion. J'avais la sensation d'un goût amer, que la réponse donnée à ma fille était en contradiction avec ce que j'observais de ma pratique. Ne l'oublions pas : la profession libérale est synonyme de vocation, d'émancipation et de liberté. Chaque MG doit pouvoir exercer la médecine librement, selon ses aspirations. Seule l'installation libérale a le pouvoir de rendre indépendant ceux qui, comme nous, l’avons choisie après de longues années passées sur les bancs de la fac.

Notre profession est résolument humaniste, mais s'inscrit dans une société tournée vers la productivité. Le monde de la santé, dépendant des finances publiques, n'échappe évidemment pas à ce paradigme. Depuis presque un demi-siècle, la politique de santé tend vers l'équilibre des comptes et applique des pratiques managériales inspirées du Taylorisme. Année après année, nous perdons la maîtrise de nos conditions d'exercice : d'une régulation par les prix, ce phénomène s'est étendu à nos pratiques (rémunération sur objectif, encadrement des prescriptions), à notre trésorerie (tarifs conventionnels, généralisation du tiers-payant) et, plus récemment, à notre liberté de choisir nos conditions de travail (projet de restreindre la liberté d'installation, incitation aux regroupement dans des MSP).

La médecine standardisée est en marche, plus administrative et plus contraignante que jamais. Il nous faut aller vite, toujours plus vite, au risque de réduire le patient à sa pathologie et de ne plus voir la complexité de cet être humain, chargé d'émotions. Ces changements dans la pratique médicale génèrent des décalages de plus en plus importants avec nos propres valeurs. Le taux affligeant de burnout chez les médecins généralistes est l'expression de notre mal-être. Des études ont été menées pour en déterminer les causes, notamment par le Pr Didier Truchot qui en conclut que ce n'est pas la charge de travail, bien que très élevée, qui est responsable mais plutôt le sentiment de ne pas avoir les moyens d'effectuer correctement son travail. On parle de "travail empêché". Soigner mieux, plus vite et faire face à un travail administration de plus en plus contraignant : une équation quasi impossible à résoudre.

Le monde a profondément changé, et nous avons été dépassés par ces bouleversements, imposés à feu doux. Isolés dans nos pratiques, nous n'avons pas su nous organiser pour créer un projet commun et se projeter sur la médecine de demain. Vous savez bien que la reconnaissance d’un trouble est la première étape vers la guérison. Préférons l'espoir au fatalisme car, avec l'émergence du numérique, de nouvelles possibilités s'offrent à nous, si toutefois nous arrivons à les orienter dans le sens de nos besoins et de nos valeurs.

Cordialement,

Dr Julien Pourcel.

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Pour compléter mon propos, je vous proposer de lire cet article passionnant, publié en 2016 par Nicolas Da Silva et Maryse Gadreau, qui m'a permis d'y voir plus clair sur les enjeux des réformes successives de notre système de santé.

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