ÉDITO - Avenir de notre profession : quelles marges de manoeuvres ?
Ceci est la retranscription d'un email que j'ai envoyé à des confrères pour discuter de l'état de l'exercice libéral. Ma motivation était de récolter vos avis, vos histoires et vos réflexions pour tenter, ensemble, de trouver des moyens faciles à mettre en oeuvre à l'échelle de nos cabinets médicaux pour améliorer nos conditions d'exercice. Le texte ci-dessous fait suite aux retours obtenus après un premier éveil des consciences sur le sentiment de devenir des faux-libéraux. Je vous invite à réagir et continuer la discussion en commentant ce billet. Bonne lecture !
Cher confrère,
Récemment, je vous écrivais pour partager ma préoccupation de devenir un "faux libéral" et m'interrogeais sur l'avenir de notre profession. A la suite de cet email, j'ai été submergé de réponses d'une qualité remarquable. Je remercie chaleureusement tout ceux qui ont participé et enrichi la discussion, que vous ayez exprimé des bribes de solutions potentielles, un partage d'expérience ou simplement votre intérêt pour un groupe d'échange collectif.
De par notre isolement, nous avons du mal à partager nos expériences (pourtant ô combien source d'apprentissage !), mais la volonté d'aider nos confrères reste profondément intacte. Vos réactions m'ont beaucoup touché. Aujourd'hui, j'aimerais vous faire part de ce que j'ai réalisé à la lecture des différents témoignages qui me sont parvenus. Cette seconde lettre a pour ambition de faire la synthèse sur nos véritables marges de manœuvre, pour améliorer nos conditions d'exercice.
Réflexions suite à vos retours
Premièrement, le statut - libéral ou salarié - n'est sans doute pas une bonne grille de lecture pour comprendre les contraintes que nous avons accumulé pour pratiquer la médecine. En effet, plusieurs d'entre vous m'ont fait part que les salariés étaient aussi touchés par ce sentiment de "travail empêché" et tiraient, bien tristement, les mêmes conclusions.
Deuxièmement, j'ai reçu beaucoup de réponses témoignant d'une certaine résignation : "bon combat" ou "bon courage, moi j'ai lâché l'affaire" écrivent certains. Evidemment, trouver (puis mettre en oeuvre) des solutions est un véritable casse-tête auquel ni les syndicats, pourtant chargés de représenter nos intérêts, ni les regroupements professionnels n'ont su véritablement répondre en alignant nos intérêts. On se retrouve dans une situation où on a l'impression que, quoi qu'on fasse, cela n'ira pas dans le sens de ce qui est important pour nous. En toute honnêteté, j'ai le sentiment que la principale souffrance qui nous blesse, c'est le sentiment d'impuissance.
Cela soulève une question de taille : face à une politique de santé où le financier et le management sont de plus en plus présents, quelles marges de manœuvre avons-nous réellement ?
Développer son pouvoir d'agir
Ce sentiment d'impuissance est source de confusion et nous empêche d'agir. Comment renverser la tendance ?
La véritable priorité selon moi, consiste à mieux identifier et comprendre les leviers disponibles pour améliorer nos conditions d'exercice. Alors, dans un second temps, nous pourrons envisager les actions à mener pour mettre en oeuvre les solutions qui nous sembleront réellement utiles et bénéfiques.
Vos innombrables réponses ont nourri ma réflexion, et m'ont amené à découvrir les travaux de plusieurs spécialistes de la question, que j'aimerais donc vous partager.
Tout d'abord, Philippe Bernaux qui soutient que c'est la manière dont l'organisation du travail est pensée qui cause le "mal-être au travail" et il soutient que c'est par l'appropriation de son travail et sa reconnaissance que l'épanouissement est possible. Il évoque la contradiction entre initiative réclamée et contraintes procédurales. A croire qu'il l'a écrit en pensant aux médecins...
Ses travaux sont accompagnés par ceux de Yves Clot, psychologue du travail. Son objectif : permettre aux travailleurs de reprendre la main sur leurs conditions de travail.
Le dénominateur commun de ces travaux : "développer son pouvoir d'agir".
Cette notion est fondamentale et correspond à l'aspiration d'indépendance, chère à notre profession. Elle nous permet de choisir, penser et maîtriser notre activité librement ; autrement dit : faire les choses à sa façon. Vous comprenez pourquoi les conclusions de ces deux auteurs ont fait écho chez moi, et ont un lien évident avec les réponses que cherchent actuellement notre profession.
Repenser son organisation
Soyons honnête, il est irréaliste de croire que, même collectivement, nous arriverons à la suppression de toutes ces contraintes qui pèsent parfois un peu trop lourd sur notre quotidien. Le chemin est long, et sans doute trop complexe. Cependant, il est tout à fait possible de repenser notre façon de pratiquer, pour s'en affranchir, petit à petit. Notre principal pouvoir d'agir se situe au niveau de notre organisation individuelle, dont nous sommes (encore) les décisionnaires.
Qu’en pensez-vous ? A quoi ressemble votre organisation personnelle actuelle ? Je vous invite à prendre un instant pour vous demander si vous avez choisi ce modèle ou s'il s'est plus ou moins imposé à vous...
La médecine s'apprend avec ses paires. Il est donc naturelle que nous ayons hérité de certains comportement et d'une organisation de nos études ou des remplacements effectués avant notre installation, ce qui, pour certains, remonte parfois à plusieurs dizaines d'années. Mais aujourd'hui, votre organisation est-elle encore adaptée ? Avez-vous vraiment le sentiment d'avoir les moyens d'exercer comme vous en rêvez ?
En réalité, chaque jour, nous sommes confrontés aux petits tracas du quotidien avec lesquels nous finissons par trouver quelques arrangements. A mon sujet, il s'agissait clairement des interruptions (trop fréquentes et peu justifiées) lors de mes consultations : perdre le fil de ma pensée et rompre le lien chèrement acquis avec le patient en face de moi était devenu insupportable. Nez dans le guidon, j'ai mis du temps à réaliser que tout cela avait beaucoup trop d'impact sur la qualité perçue de mon travail...
Sans réellement en avoir conscience, j’ai remis en cause mon organisation. Frustré de la manière de gérer les sollicitations, je cherchais à concilier mon envie d'être disponible pour mes patients avec la nécessité de préserver l'intimité des consultations. Ces deux sphères sont contradictoires, voir conflictuelles. J’ai alors eu l’occasion de tester de nombreuses solutions, des plus classiques aux plus médiatisées. Mais toutes se sont finalement relevées assez frustrantes. J'en suis arrivé à un stade où il m'a fallu prendre les choses en main, et créer moi-même ma propre solution en s’appuyant sur mes valeurs : celles du libéral. En repensant radicalement la manière de gérer mon téléphone, j'ai bouleversé mes habitudes pour mieux maitriser ma disponibilité et retrouvé ainsi le plaisir d'exercer dans de bonnes conditions. Mes patients aussi y ont trouvé leur compte, me trouvant plus disponible et à leur écoute. Le plus satisfaisant, dans tout ça, c'est que ce sont bien mes outils qui se sont adaptés à ma manière d'exercer - et non l'inverse.
Le numérique et la place des médecins
Cette modernisation de mon organisation, qui n'est évidemment qu'une manière parmi d'autres pour démontrer qu'elle peut nous simplifier la vie, n'a été possible que grâce à l'usage d'outils technologiques. Après avoir impacté notre vie personnelle, Internet et la révolution numérique débarquent dans notre environnement professionnel. A l'image de l'ordinateur dans les années 1970, elle est loin d'être une source d'aliénation mais plutôt une opportunité d'épanouissement. Chaque médecin doit pouvoir embrasser cette seconde vague d'innovations pour trouver une façon d'exercer lui permettant d'atteindre la plénitude.
Nous allons devoir repenser notre pratique médicale pour l'ère Internet en identifiant clairement nos priorités. Malheureusement, la plupart des projets naissants sont majoritairement orientés sur des besoins visant à faciliter la vie des patients, et non sur nos attentes ou problématiques. Parfois, leur sens nous échappe. J’en veux pour preuve la récente multiplication des start-up affichant l'ambition de "favoriser le parcours de soin" avec la télé-consultation.
À en lire les témoignages sur le web, beaucoup d'entre-nous accueillent cette nouveauté avec prudence. Son utilisation concrète reste floue, notre méfiance prédomine en pensant aux abus possibles. Son adoption sur le territoire français reste un mystère, car c'est bien d'organisation dont il s'agit. La télé-consultation : quelle est sa place dans mon agenda ? pour quels actes ? et quel type de patients ? dans quelles conditions ? La liste est longue mais elle a le mérite de nous pousser à réfléchir à notre organisation.
Partageons nos astuces entre confrères
En me penchant sur toutes ces questions d'organisations à l'ère numérique, j'ai pu prendre connaissance d'initiatives diverses et intéressantes, comme "#DocTocToc", également fondé par un médecin pour l'entraide rapide entre confrères sur Twitter. Il y a aussi ce cabinet médical dans la ville de MontBlanc, qui m'a indiqué avoir choisi de gérer ses demandes de certificats médicaux sur son propre site internet, pour les patients ayant été vus récemment. Ou alors, ce confrère qui m'informait dans sa réponse avoir rayé le terme "tâche administratif" de son vocabulaire, en ayant absolument tout automatisé. C'est probablement un peu extrême, mais ça montre le champ des possibilités. Incroyable… Les exemples ne manquent donc pas, mais reste encore trop isolées, et surtout peuvent donner des idées ou des pistes de réflexion à chacun d'entre nous.
Profitons de cet email pour encourager nos échanges confraternels et échanger sur les astuces et outils qui améliorent nos conditions d'exercice. C'est la clé pour rendre notre exercice plus agréable que jamais !
Suite à l'enthousiasme général pour avoir un lieu d'échange simple et efficace, nous avons créé, un groupe Facebook (privé) a été créé à ce sujet, pour mettre à profit notre intelligence collective. Prenons de la hauteur de sur nos pratiques, partageons nos agacements quotidiens, les bons plans qui ont su les dissiper et développons notre pouvoir d'agir !
Cordialement,
Dr Julien POURCEL.