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COVID-19 : Les médecins tirent les premières leçons de leur réorganisation.

Si la pandémie de COVID-19 a surpris politiques, services hospitaliers et médecine de ville, elle fut, aussi l’occasion, pour cette-dernière, de repenser l'organisation des soins. Une occasion inédite pour la profession de prendre de la hauteur sur des habitudes de travail, souvent bien ancrées.

Quels enseignements positifs les médecins généralistes ont-ils retiré de cette crise, et, plus particulièrement, de la période de confinement ? A-t-elle battu en brèche certains préjugés ? Quels outils ou méthodes d’organisation les praticiens ont-ils conservé post pic épidémique ?

Pour le savoir, nous avons interrogé plusieurs praticiens, à travers toute la France.

Tester la téléconsultation, selon ses affinités

« La téléconsultation, non, jamais ! » : voici ce que le Docteur Grosse, généraliste à Amboise, en Indre-et-Loire, se disait, avant l’arrivée de la crise sanitaire.

Ses freins : un contact humain limité et l’impossibilité de réaliser un examen clinique.

Si elle n’envisage pas de déployer ce mode de consultation à grande échelle, elle reconnaît qu’il fut salvateur pendant la période de confinement.

« Aujourd’hui, j’y suis moins réfractaire. La téléconsultation peut être utile lorsque les gens savent la manipuler. J’étais un peu trop braquée avant. J’ai plus d’ouverture d’esprit, après l’avoir éprouvée pendant plusieurs semaines», affirme-t-elle.

Au début du confinement, Julie Grosse ne consultait qu’en visio. Début avril, elle a choisi de mélanger consultations présentielles et par écran interposé. Depuis fin mai, la généraliste ne recourt à la téléconsultation que pour quelques « cas exceptionnels ».

Parmi eux : le suivi psychologique d’un patient pour lequel l’examen clinique n’est pas nécessaire. Une pratique équivalente à celle d’Astrid Chardiny, généraliste dans le Vaucluse, qui la réserve aux patients éloignés, souffrant d’hypofertilité, et ne nécessitant, eux-aussi, pas aucune palpation.

Pour un autre praticien situé dans un petit village aux abords de Salon-de-Provence, la période de confinement a permis d’accélérer l’introduction de la visio dans ses habitudes de consultation.

« Je n’avais pas de préjugés sur la téléconsultation parce que je savais que cette pratique allait se développer, mais le confinement m’a permis d’accélérer sa mise en place », affirme-t-il.

Avant de l’utiliser, le généraliste salonais pensait la téléconsultation réservée aux lectures d’analyse ou au renouvellement d’ordonnance. Cette période lui a fait prendre conscience qu’elle pouvait, également, servir à donner un première avis rémunéré, voire à éviter un passage aux urgences.

« Ce matin, une dame m’a consulté pour un trauma du doigt. J’ai prescrit une radio par téléconsultation. Je lui ai donné mon premier avis que j’ai facturé, alors qu’avant je le donnais gratuitement par téléphone », explique-t-il.

L’introduction de la téléconsultation s’est faite de manière progressive au sein de son cabinet. « Avant le confinement, je ne l’utilisais pas du tout. Au début, je choisissais quels patients y étaient éligibles. Aujourd’hui, elle est accessible à tous. Si, après quelques minutes de conversation en visio je me rends compte qu’elle n’est pas adaptée à la pathologie du patient, je facture et lui demande de venir au cabinet. L’objectif pour moi, est de tester ce mode de consultation à l’échelle de toute ma patientèle, avant de définir comment je l’utiliserai à long terme, et pour qui elle est la plus adaptée », précise-t-il.

Dernier élément, et non des moindres : la téléconsultation pourrait, également, lui permettre d’exercer à distance.

« J’ai testé le télétravail le dimanche, pendant le confinement », se souvient-il.

Un mode de consultation qu’il n’envisage pas de pérenniser le week-end, mais peut-être le vendredi, lorsque son projet d’acquisition d’un chalet à la montagne se concrétisera. 

Se fixer (enfin) des limites pour exercer mieux

Cette « règle », le Docteur Sumiya, généraliste à Mériel, dans le Val d’Oise, a choisi de l’appliquer depuis mi-mai. Elle a choisi de passer plus de temps pour chaque patient, pour plus de confort de consultation.

« Pendant le confinement, mon activité s’est réduite de 50% car les gens fuyaient les cabinets médicaux. J’ai donc passé plus de temps avec chacun de mes patients. Ce que, finalement, j’ai fait, contrainte et forcée, pendant cette période, je l’applique aujourd’hui et ne reviendrai pas en arrière », observe-t-elle.

En lieu et place des 15 minutes rituelles de consultation et de ses 30 rendez-vous quotidiens, Mariko Sumiya passe, désormais, 20 minutes avec chacun de ses 18 à 20 patients journaliers. Un choix délibéré qui, s’il a une incidence non négligeable sur sa rémunération, lui permet de gagner en confort de consultation.

« Les gens sont anxieux, en ce moment. Les consultations sont lourdes. Je n’ai plus l’énergie de voir 30 patients par jour. Psychologiquement, c’est très difficile, et ma concentration ne peut plus être la même en début et en fin de journée », confesse-t-elle.

Prendre plus de temps lors de chacune de ses consultations lui permet, également, de désinfecter son cabinet entre chaque patient. « Avant je nettoyais en fin de journée, ou en cas d’actes salissants ou de patients contagieux. Maintenant, je nettoie tout après chaque consultation, même mon stéthoscope. », nous confie-t-elle.

Une organisation pérenne, dont elle mesure, chaque jour, les bénéfices.

« Le confinement m’a permis de mettre le holà sur la productivité que l’on nous demande, et de fixer des limites afin de garder une qualité de travail satisfaisante. La pause du COVID m’a permis de me rendre compte de ça. Je touche moins chaque mois, mais je travaille mieux. Je suis moins fatiguée à la fin de la journée. Mes horaires n’ont pas changé, mais je me sens plus disponible pour gérer la vie familiale et la logistique du foyer », reconnaît-t-elle.

Supprimer certaines mauvaises habitudes

« Si cela fait 500 ans que les médecins portent la blouse et que nous ne la portons plus depuis 20 ans, peut-être que l’erreur date d’il y a 20 ans et non pas 500 ans… »

Le message du généraliste des Bouches-du-Rhône est clair. La blouse a fait son retour dans les cabinets médicaux depuis le confinement : un changement opportun et salvateur, tant pour les médecins que pour leurs patients. Le praticien salonais la portera toujours, même lorsque l’épidémie de COVID-19 sera derrière nous.

Même constat à Amboise où Julie Grosse exerce depuis presque 5 ans.

« Je porte une tenue hospitalière et ne reviendrai pas à une tenue civile, par mesure d’hygiène », déclare-t-elle.

Cette idée lui avait déjà traversé l’esprit avant la crise sanitaire, mais elle ne l’avait pas mise en pratique. « Nous, médecins, avons lâché beaucoup de lest sur les mesures d’hygiène, ces dernières années. C’est bien que ces précautions soient renforcées aujourd’hui. Post-crise épidémique, je continuerai à porter pantalon, tunique, cheveux attachés et masque chirurgical…excepté dans le cadre de certaines consultations pédiatriques », affirme-t-elle. La praticienne, continuera, également à imposer la désinfection des mains à sa patientèle : « renforcer l’hygiène des patients, c’est une très bonne chose ! », précise-t-elle.

Pour la quasi-totalité de la profession, la crise épidémique, aura, également, sonné le glas des revues et autres jouets disposés en salle d’attente.

« Avant on accueillait des enfants avec une gastro, qui jouaient tous ensemble en attendant leur consultation. Cela va disparaitre. Nous travaillerons moins cet hiver que les précédents parce que tout le monde fera très attention, mais c’est tant mieux pour les patients ! », constate Astrid Chardiny, non sans une pointe d’humour.

Exit, enfin, la rituelle poignée de mains ou la bise, toutes deux ancrées dans des habitudes quelque peu franchouillardes. Patients et médecins se contenteront, désormais, d’une salutation orale, un peu plus froide, certes, mais beaucoup plus hygiénique.

Fin programmée du sans rendez-vous ?

« Notre principal changement organisationnel réside dans l’arrêt des consultations sans rendez-vous. Nous resterons là-dessus, même après la fin du COVID »

Malgré les habitudes prises par la patientèle du cabinet qu’elle partage avec son associée généraliste et deux spécialistes, Astrid Chardiny ne reviendra pas en arrière. Objectif : éviter l’engorgement en salle d’attente, synonyme de haut risque de contamination.

En ne proposant que des consultations sur rendez-vous, les gens n’attendent pas (ou peu en cas de retard). Il arrive, même, que les patients ne se croisent pas. Côté praticiens, en imposant la prise de rendez-vous, la sécurité sanitaire est préservée….et les horaires de travail sont mieux cadrés.

« Je sais quand je commence, et quand je finis, même si des créneaux s’ajoutent toujours dans la journée. Ce sont les joies de la médecine. Lorsque j’exerçais seule, je fermais la salle d’attente à partir d’une certaine heure. Maintenant que je partage le cabinet avec d’autres praticiens, ça n’est plus possible. Le sans rendez-vous perdurera donc post crise épidémique », explique le Docteur Chardiny, située à Mérindol dans le Vaucluse.

Pour Franck Roung , généraliste à Nancy, la messe est dite. Selon lui, « c’est la fin de la consultation libre qui est d’un autre temps car elle implique un brassage de population en salle d’attente. Lorsque les patients ont rendez-vous, ils sont à distance les uns des autres ».

Le mot de la fin

Au-delà des conséquences sanitaires, la pandémie du COVID-19 a obligé chacun à repenser sa manière de travailler. Un défi qui s'invite aussi dans le monde médical.

André Gide disait : « l’intelligence, c’est la faculté d’adaptation ».

En modifiant leur organisation face aux contraintes sanitaires imposées par la crise de la COVID-19, les médecins généralistes de France et de Navarre en ont été la preuve. Loin de se cramponner à des habitudes ou des préjugés bien ancrés, ils ont su faire preuve de souplesse et de réactivité.

Une raison supplémentaire de mettre la profession, omniprésente pendant le pic épidémique, et pourtant insuffisamment reconnue, sur le devant de la scène.