La téléconsultation, qu’en pensent vraiment les médecins sur le terrain ?
Elle fait les gros titres depuis le début de la crise sanitaire du COVID-19, à grands renforts de chiffres record et de superlatifs particulièrement élogieux. Certains l’érigent même en messie de la médecine épidémique. Déployée en urgence pour réduire le risque de contaminations en cabinet, elle est aujourd’hui présentée par les médias comme une nouvelle pratique incontournable pour la médecine de demain. Qu’en pensent les médecins, sur le terrain ? Nous leur avons posé la question.
Une nouvelle pratique intéressante pour le médecin, comme pour les patients
« Une plus-value pour le cabinet médical »
Telle est la façon dont le Docteur Pazzogna voit l’utilisation de la téléconsultation, hors contexte épidémique.
Une plus-value pour enrichir sa pratique de la médecine, d’abord. Proposer la téléconsultation, c’est moderniser son cabinet médical en offrant un service utile et complémentaire à sa patientèle. Un discours semblable aux médecins que nous avions interviewés pour comprendre leur utilisation de ce nouveau mode de fonctionnement.
Une plus-value financière, ensuite. L’assouplissement des règles de prises en charge a permis de coter des actes, auparavant réalisés gratuitement.
« Un cabinet médical reste une entreprise. C’est le modèle libéral qui veut ça, même s’il est toujours mal vu d’associer santé et argent (…). Tout ce qui arrivait sur le coin de la table avant de partir, on le traitera, maintenant, en téléconsultation. La demande de renouvellement de bilan orthophonique du petit dernier, alors qu’on a vu toute la famille pour des angines n’arrivera plus comme un cheveu sur la soupe en fin de consultation. Elle sera traitée comme un acte isolé et rémunéré », indique le Docteur Pazzogna.
Une avancée majeure pour la médecine de ville qui, chaque jour, et depuis toujours, règle des biologies, donne des conduites à tenir ou renouvèle des ordonnances gracieusement.
Rien ne remplacera l’examen clinique
Interroger, ausculter, diagnostiquer, prescrire : le polyptique ne date pas d’hier. Il est, tout bonnement, l’élément fondateur de la médecine générale. Privant le praticien de la phase cruciale d’auscultation, la consultation virtuelle, peut, face à certains symptômes, s’avérer plus approximative, voire risquée, que pratique.
Le Docteur Reveyron, installée en cabinet libéral dans les Hautes-Alpes, est particulièrement vigilante. Elle utilise ce nouveau mode de consultation, avec parcimonie, depuis un peu plus d’un an.
« Je refuse la téléconsultation lors de symptômes piège tels que des douleurs abdominales ou de pré-otite. Je ne l’utilise, que pour les malades qui connaissent déjà leur pathologie ou qui souffrent de maux bénins du quotidien (rhino-pharyngites, sciatiques, orgelets…) »
Certains symptômes, vagues et très ouverts, propres à la médecine générale, sont, également, difficilement évaluables par écrans interposés. Un patient se disant fatigué ou essoufflé peut, par exemple, renvoyer à une multitude d’hypothèses diagnostiques. Ne pas le voir évoluer physiquement devient alors, un obstacle dans la définition précise de sa pathologie.
« Lorsque l’on voit nos patients entrer dans le cabinet, on peut déjà deviner quelques éléments de gravité. En téléconsultation, le risque de passer à côté de quelque chose de critique est accru. Sur les 30 patients que je reçois, en moyenne, chaque jour, j’ai un doute diagnostique pour 20 d’entre eux. Avec la téléconsultation, ce chiffre passe à 25, a minima », explique le Docteur Pazzogna.
Pour contenir la prise de risques, ce-dernier avoue avoir été plus « incisif » pendant toute la vague épidémique. L’utilisation quasi-généralisée de la téléconsultation a entraîné beaucoup de réévaluations qu’il n’aurait probablement pas faites s’il avait reçu les patients dans son cabinet.
« J’ai demandé aux gens de me rappeler et de me donner des nouvelles régulièrement. J’ai même recontacté, moi-même, certains d’entre eux pour m’assurer du bien-fondé du diagnostic et du traitement », explique-t-il.
En matière d’examen dermatologique, la vidéo-consultation peut, également, présenter certaines limites. En cause : des photos dont la résolution est insuffisante, un angle hasardeux ou un éclairage de piètre qualité.
Des difficultés pour les patients peu à l’aise avec la technologie
La téléconsultation bouleverse aussi les habitudes des patients, pas toujours à l’aise avec l’utilisation d’Internet. Il est toujours bon de le rappeler : pour téléconsulter, il faut d’abord se connecter. Si cette première étape est tâche aisée pour la majorité des médecins concernés, difficile d’en dire autant de leurs patients. Geeks avérés, digital mums assumées, jeunes cadres dynamiques n’auront, certes, aucune difficulté.
Que dire, en revanche, des personnes âgées ou mal équipées ?
Pour les médecins exerçant en zone rurale (et ils sont nombreux), on remarque que les usages observés sont bien différents des populations urbaines.
Une complexité à laquelle le Docteur Pazzogna a dû faire face. Situé à quelques encablures de Nancy, il a déployé la téléconsultation dans son cabinet début mars, afin d’éviter tout risque de contamination. Depuis, la quasi-totalité de ses consultations a eu lieu par ce biais, jusqu’à sa « rentrée » physique au cabinet, ce lundi 18 mai.
« Recevoir un sms, entrer les trois premières lettres de son nom, patienter en salle d’attente virtuelle… Rien de très compliqué quand on est familier des outils digitaux. Pour certaines personnes âgées, en revanche, c’est un mode de fonctionnement parfois très difficile à appréhender », observe-t-il.
A l’instar des déserts médicaux où la prise de RDV en ligne est parfois compliquée à faire adopter due au réflexe des patients d’appeler le cabinet médical, la téléconsultation s’inscrit, pour ces franges de la population, comme un facteur supplémentaire favorisant l’inégalité d’accès aux soins.
Dommage. Les personnes âgées, devraient, pourtant, être les plus concernées : les visites de routine sont plus fréquentes chez cette typologie de patients et leur faculté à se déplacer est souvent réduite.
Une pratique qu’il faudra de nouveau encadrer
La téléconsultation a connu un véritable engouement médiatique dès l’arrivée du COVID-19. Il faut dire que le Gouvernement a tout fait pour inciter sa pratique. Au point d'accorder une place plus importante aux éditeurs de logiciels qu'aux médecins en première ligne. Un sentiment d'abandon qui nous a été remonté du terrain dès le début du confinement.
Obligation de téléconsulter un médecin traitant ou un praticien vu au cours des 12 derniers mois, remboursement à 70% par la Sécurité Sociale, utilisation d’interfaces sécurisées : ces trois règles fondatrices, propres à l’utilisation de la téléconsultation, depuis septembre 2018, ont volé en éclat. Deux décrets parus au Journal officiel le 10 mars 2020 et le 20 mars 2020 sont venir assouplir les règles en vigueur.
Objectif : inciter les patients à faire appel à leur médecin, tout en limitant le risque de propagation du coronavirus.
Désormais, le patient a la possibilité de solliciter le médecin de son choix. La téléconsultation est remboursée à 100% par la Sécurité Sociale. Quant au choix de l’interface, Skype, FaceTime, WhatsApp : tout est permis, pourvu que médecins et patients puissent communiquer. Ces conditions ont même été étendues aux consultations téléphoniques, officiellement pour les patients les plus fragiles (cas avérés de Covid, personnes âgées, femmes enceintes…).
En théorie, ces nouvelles règles ne devraient s’appliquer que jusqu’au 31 mai 2020. Espérons-le, car ce nouveau « Far West numérique » provoque quelques frustrations au sein de la profession.
« SOS médecins ne joue pas vraiment le jeu sur le plan déontologique en ce moment. Lorsqu’ils voient nos patients la nuit ou le week-end, ils doivent, normalement, les rediriger vers leur médecin traitant pour le suivi. Cela n’a pas été le cas ces dernières semaines. Ils suivent les patients via la téléconsultation. Ils ont le droit de le faire, et le patient est remboursé à 100%. C’est toujours ça de gagné…. Et nous ne sommes pas avertis que le patient a été pris en charge par leurs soins », décrit le Docteur Roung, médecin généraliste situé à Nancy.
Généraliser la téléconsultation suscite des craintes
S’affranchissant du déplacement physique et accessible en quelques clics, la téléconsultation représente un gain de temps précieux pour le patient. Quid du médecin ? Lorsque l’auscultation n’est pas nécessaire, le bénéfice est réciproque. En cas de doute, en revanche, des garde-fous doivent être mis en place, notamment face à des patients inconnus.
L’enjeu est loin d’être négligeable : ces nouvelles pratiques ne doivent pas favoriser une médecine de comptoir basée sur la consommation de soin. Devenant accessible immédiatement à travers un smartphone, les médecins ne peuvent être perçus comme des « distributeurs d’ordonnances ».
Derrière des habitudes anecdotiques, c’est la perception du soin qui risque d’évoluer.
Le Docteur Pazzogna a établi une procédure extrêmement stricte à l’attention des patients. Impossible, pour eux, de choisir leur rendez-vous seuls. Pour toute demande de téléconsultation, le nouveau patient doit indiquer quels sont ses symptômes.
Le praticien nancéen juge, ensuite, du bien-fondé ou non d’une consultation en vidéo, puis, le cas échéant, l’appelle, afin de fixer un créneau horaire. Objectif : éviter les abus et ne pas perdre de temps.
« La téléconsultation nécessite une organisation cadrée. Si je laisse le patient autonome dans la prise de rendez-vous, au bout de 10 minutes de consultation, on va se rendre compte qu’il aurait dû venir au cabinet », explique-t-il.
Du côté du Docteur Reveyron, un créneau horaire (13h20 - 14h) est réservé chaque jour, à la téléconsultation. Cette période calme lui permet de ne pas empiéter sur les plages horaires des rendez-vous présentiels, et de disposer de quelques minutes nécessaires à la prise en main de son outil. Dédier un créneau spécifique à ce type de consultation, lui évite, également, d’alterner consultations physique et à distance : un exercice fastidieux qui demande temps et attention particulière.
Généraliser la téléconsultation à tous les patients serait, également, une erreur.
« J’utilise la téléconsultation au cas par cas, en fonction de la confiance que j’ai en mes patients. Pendant le confinement, j’ai pu gérer des choses graves avec des gens que je savais consciencieux. A contrario, je sais que j’aurai besoin de voir des patients moins rigoureux pour des choses plus banales », confie le Docteur Pazzogna.
Des médecins ravis de retrouver leurs patients au cabinet médical, et vice-versa
« Nouveauté accueillie avec une certaine perplexité à utiliser. Je m’interroge sur son efficacité : les diagnostics sont-ils adaptés ? Ne vont-ils pas manquer d’humanité ? » : ce verbatim de patients recueilli dans le cadre d’un enquête menée par l’Institut Harris Interactive en janvier 2020[1] en dit long sur les réticences de certains Français, particulièrement attachés à la relation réelle, et non virtuelle, qu’ils entretiennent avec leur médecin de ville.
S’ils perçoivent l’intérêt de ce mode de consultation pour renouveler une ordonnance (78%), obtenir un conseil médical (77%), pallier un éloignement physique (74%) ou traiter un problème de santé bénin (70%), les Français sont beaucoup plus réservés en cas de pathologie plus grave. Seuls 28% d’entre eux envisageraient d’y recourir dans cette situation.
Un sentiment partagé par les médecins, sur le terrain. Pour le Docteur Teglia, utilisateur de la téléconsultation avec MadeForMed depuis le début de la phase épidémique, elle est uniquement un moyen de gérer les maux bénins du quotidien.
« Je l’ai utilisée, au mois d’avril, pour les gens allergiques que je connaissais. A termes, je la garderai pour toutes les pathologies bégnines, où l’interrogatoire suffit. Je pense, par exemple, aux cas de cystite », affirme-t-il.
De façon générale, les patients hexagonaux ne sont pas prêts à troquer la relation de proximité qu’ils entretiennent avec leur praticien, au profit de quelques avantages de confort tels que l’inutilité d’un déplacement ou un gain de temps potentiel.
36% d’entre eux confessent avoir besoin d’un contact humain direct. « Nous avons besoin d’une interaction sociale avec nos patients, Deux mois sans les voir, ça n’est pas dramatique. Il n’aurait pas fallu, en revanche, que cela dure un an », affirme le Docteur Pazzogna, ravi de retrouver ses patients au cabinet, après un confinement passé quasi-intégralement en téléconsultation.
La relation humaine est, après tout, le principal pilier de l'exercice de la médecine.
Le mot de la fin ?
La téléconsultation, une solution miracle ? Non. Une pratique complémentaire ? Oui, c’est certain. Si la santé publique n’aurait pu en faire l’économie durant la période épidémique, elle semble déjà occuper moins de place dans l’organisation des cabinets médicaux. 20% consultations ont été réalisées par ce biais versus 80% la semaine précédant le déconfinement. Une tendance qui confirme les prédictions du Docteur Pazzogna : « si l’épidémie de coronavirus ne connaît pas de deuxième vague, je ne suis pas sûr que la téléconsultation restera un acte fort de la médecine générale. Demain, dire qu’elle remplacera 50% des consultations, je ne le crois pas. 10% des actes, ça serait déjà beau ». Patientons quelques mois, étudions les chiffres et concluons, preuves à l’appui.
[1] *Enquête Harris Interactive pour Livi « Baromètre : Les Français et la téléconsultation - Vague 2 », réalisée en ligne du réalisée du 7 au 9 janvier 2020 sur un échantillon de 1013 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas et redressement appliqués aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle et région de l’interviewé(e).