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Les médecins généralistes inquiets des dommages collatéraux du COVID-19

« Je ne fais pas de consultation par téléphone ». Une phrase qui a longtemps résonné dans la bouche des médecins de ville et les oreilles de leurs patients. Oui, mais voilà : en période de confinement, les règles changent. Problème : les malades ne le savent pas, tout comme ils ignorent que le cabinet de leur généraliste s’est organisé pour éviter la propagation du COVID-19.


Conséquence : le nombre de consultations en ville chute, entraînant retards de diagnostics et aggravation de certaines pathologies. Un phénomène inquiétant que n’a pas manqué de souligner le Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, ce 19 avril, en conférence de presse, enjoignant les Français à consulter leur médecin en cas de besoin, et les praticiens à contacter les malades chroniques dont ils n’ont pas de nouvelles. Pourquoi les patients fuient-ils les cabinets médicaux ? Comment les généralistes vivent-ils la situation ?  Nous avons mené l'enquête, en nous appuyant sur les témoignages de patients et médecins utilisateurs de MadeForMed.

La peur, maîtresse de tous les maux

La France traverse l’une des plus graves crises sanitaires de son histoire récente. Pourtant, l’activité de la médecine de ville connaît une chute drastique dans les zones les plus touchées par le Covid-19, comme dans celles où le virus se fait plus rare. Les chiffres annoncés par la Sécurité Sociale ce 2 avril sont édifiants : le nombre de consultations a chuté de 50% chez les généralistes en Ile-de-France et de 44% au niveau national.

Peur d’être contaminés et de déranger le médecin qui « doit être débordé en ce moment » : voici les deux raisons les plus citées par les Français que nous avons rencontrés dans le cadre de cette enquête.
Olivier, 54 ans, cumule ces deux craintes en avouant « ne pas avoir envie d’attendre des heures dans un cabinet bondés de malades du Covid-19, potentiels transmetteurs de la maladie ». Résultat : en cas de symptômes persistants, qu’il jugera lui-même « non urgents », il optera pour une visite post-confinement et une automédication, en attendant.

 

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Les médecins craignent les dangers de l'automédication

 

Chez certaines personnes âgées, notamment, cette peur peut parfois prendre des proportions inquiétantes. Pour Evelyne, 81 ans, la crainte d’être infectée ne s’arrête pas au seuil du cabinet médical. « Je ne suis pas sortie depuis plus d’un mois. J’ai peur de côtoyer des malades du Covid-19 dans la salle d’attente, mais aussi d’être contaminée via les poignées de porte, codes d’accès et rampes de l’immeuble de mon médecin et du mien ». Une situation d’autant plus inquiétante que les seniors, souvent seuls, font partie des personnes les plus exposées aux conséquences graves d’un retard de diagnostic.

« Nous voyons des personnes âgées devenir grabataires ou se laisser mourir » 

« Nous voyons des personnes âgées devenir grabataires ou se laisser mourir », déplore un généraliste situé dans un village non loin de Salon-de-Provence. La fréquentation de son cabinet a décru de 30%, en moyenne, depuis le début du confinement.

Cette psychose serait alimentée notamment par les medias, jugés trop alarmistes par certains praticiens. C’est l’avis du médecin salonais. Sa crainte : des dommages collatéraux au confinement, plus ravageurs que la pandémie elle-même. « Parmi ma patientèle, deux personnes sont décédées récemment d’autres maladies que le Covid-19. Parce qu’on leur a dit à la télé de ne pas consulter, elles ont laissé trainer leurs pathologies et n’ont pas été hospitalisées à temps. Embolie artérielle d’une jambe pour l’une, hémorragie digestive pour l’autre. Je n’ai déploré, en revanche, aucune victime du Covid-19 », explique-t-il.

Paradoxalement, les patients privilégient souvent une visite à domicile plutôt qu’en cabinet. C’est, notamment, l’avis de Paul, 63 ans : « En cas de problème, je demanderais au médecin de se déplacer, mais je n’irais pas le voir », affirme-t-il. La crainte de l’environnement médical semble donc plus présente que celle du médecin, en tant que vecteur potentiel de la maladie.

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L'amende coûtera 345€ au patient si la police juge son motif de consultation non urgent.


Dernier obstacle à une visite en cabinet médical : la « peur du gendarme ». Rappelons qu’il en coûtera 345€ à tout contrevenant se rendant chez un médecin pour un soin non urgent. Une situation que déplore le Docteur Bouju, situé à Dinan, dont le nombre quotidien de consultations a été divisé par trois depuis le 17 mars. « On demande à la police de juger si le motif médical des gens justifie leur déplacement. Les forces de l’ordre ne sont pas formées pour cela. En plus de la peur du virus, s’installe la peur d’être verbalisé », affirme-t-il.

Absences ou reports de consultation, plus inquiétants que le Covid-19

Le confinement a, certes, fait disparaître les consultations pour les petits rhumes, angines et autres certificats d’aptitude au sport. Une bonne chose. « D’une surconsommation de soins, nous sommes soudainement passés à une sous-consommation » constate, circonspecte, le Docteur Michenaud, récemment installée à La Roche-sur-Yon.

Plus inquiétant, en revanche : les malades chroniques font, eux aussi, l’impasse. En cause, notamment : le renouvellement d’ordonnance rendu possible en pharmacie, sans visite préalable chez le médecin. Une situation que dénoncent de nombreux généralistes : « le fait que les pharmacies puissent renouveler les ordonnances a provoqué des arrêts et des poursuites de traitement inopportuns. Cela a engendré des complications que l’on ne voyait plus » explique le médecin situé dans les Bouches-du-Rhône.

Les praticiens alertent, également, sur les retards de diagnostics :

« Les cas que nous prenons en charge en ce moment sont plus graves. On a peur d’avoir plus de morts ou de morbidité à cause de perte de chance ou de suivi pour des maladies potentiellement graves, que suite au Covid-19 », prévient Florian Bouju.

S’il tue parfois, le Covid-19 reste, effectivement, une maladie bégnine dans 80% des cas. Les autres pathologies, elles, sont toujours là : « tabac, alcool, cancers continuent à faire des dizaines de milliers de morts chaque année. Les problèmes médicaux ne disparaissent pas comme par magie. Les patients que l’on ne voit plus ont des ennuis qui s’accumulent. Nous devrons les gérer après-coup », rappelle le Docteur Bouju.

Autre fait notoire qui inquiète les médecins de ville : l’absence de soins relevant de la compétence de professionnels de santé qui n’ont pas le droit d’exercer en ce moment. C’est le cas des dentistes et des kinésithérapeutes, entre autres. Les généralistes se retrouvent, alors, avec des abcès dentaires qui se transforment en cellulite faciale ou des patients dans l’impossibilité d’être rééduqués après une chirurgie orthopédique. Impossible, également, de poser un diagnostic et de prescrire un traitement à des patients qui ne peuvent pas faire une IRM ou une endoscopie, pour cause de fermeture des services compétents.

Ces patients devront être pris en charge post-confinement, avec de probables complications de leurs pathologies initiales, dans un cabinet médical qui, là, devra gérer le trop-plein de malades.

Mesures de précaution et communication locale

Les médecins de ville se sont, pourtant, rapidement organisés afin d’accueillir leur patientèle sans risque de contamination. Problème : les patients le savent peu, même si les praticiens tentent de faire passer le message localement.

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Nombreux sont les médecins ayant repensé leur organisation

 

En Bretagne, le Docteur Bouju explique sur son site Internet que des consultations spécifiques sont organisées pour les patients atteints du COVID-19, que la téléconsultation a été intégré à son organisation et rappelle les gestes barrière à respecter lors d’une visite dans son cabinet. Pas de message, pour le moment, encourageant ses patients à ne pas retarder leur consultation, « mais ça devrait venir. La baisse de fréquentation dure depuis trop longtemps », constate-t-il.

Le Docteur Michenaud, à La Roche-sur-Yon, ajoute sur son propre site internet, que toutes les urgences, qu’elles soient infectieuses ou non, peuvent être traitées. Elle rappelle, également, sur son site et son accueil téléphonique MadeForMed que le cabinet reste ouvert.

Du côté de Salon-de-Provence, la salle d’attente a été adaptée : « on a enlevé les chaises, les gens peuvent aussi attendre dehors. Une partie est réservée aux patients atteints du Covid-19. Elle est désinfectée plusieurs fois par jour. J’ai des gants, une tenue de bloc opératoire. Lorsque je vais chez les gens, je me change systématiquement », assure le généraliste.
Pour ce qui est de la communication, une publication sur Facebook rappelle la mise en place de conditions d’hygiène adaptées et l’ouverture du cabinet pour tous types de pathologies.
Un centre-COVID a même été mis en place, en association avec deux villages voisins. La structure est prête à accueillir les patients concernés. Les cabinets libéraux étant peu fréquentés et l’épidémie peu répandue dans la région, elle n’a, toutefois, pas ouvert ses portes.

Pharmaciens et infirmiers sont également vecteurs de l’information.

« Pour les maladies du cœur ou des poumons, par exemple, je dis aux pharmaciens de rediriger les gens vers nous et de ne pas renouveler leurs ordonnances. Je demande aussi aux infirmières d’indiquer à leurs patients qu’ils peuvent venir me voir sans attendre », indique le médecin breton.

En Vendée, la démarche est identique. Les pharmaciens ont joué le jeu de manière générale. Pour certaines pathologies, le Docteur Michenaud exige une consultation médicale : « en cas de renouvellement d’anxiolytiques, je demande à la pharmacie, située sous mon cabinet médical, de rediriger les patients vers moi. Cette mesure de précaution est cruciale et particulièrement adaptée en ce moment ».

« On ne doit pas avoir peur de déranger son médecin »

Cette phrase, les généralistes de ville la martèlent….

« Un retard de soin peut avoir des conséquences dramatiques », répète le praticien salonais.
La période que nous traversons actuellement est même idéale pour consulter dans le calme, en prenant le temps d’échanger avec son médecin traitant.

« Nous ne sommes pas débordés. En temps normal, on ne va pas toujours au bout des consultations, faute de temps. En ce moment, j’ai l’impression de mieux faire mon travail, parce que je peux discuter avec les patients », constate le Docteur Bouju.

Rappelons, enfin, que le médecin de ville est le soignant de premier recours, « le référent des patients pour tout problème de santé somatique ou psychologique », précise la généraliste vendéenne. Son rôle : diagnostiquer d’abord, mais aussi prévenir, éduquer, rassurer, écouter, accompagner tout au long d’un parcours de soin voire d’une vie.  S’en passer en ce moment est un luxe dangereux que les Français ne devraient pas s’offrir.