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La médecine de ville, grande oubliée du gouvernement dans la lutte contre le COVID-19 ?

 « N’allez plus voir votre médecin traitant ». Serait-ce la dernière injonction en date, subrepticement adressée aux Français, en cette période de pandémie ? Quelques jours après la mise en place d’une nouvelle restriction sur les déplacements de santé (il en coûtera 345€ à tout contrevenant se rendant chez un médecin pour un soin non urgent), il est légitime de se poser la question. Capable de s’auto-organiser rapidement pour faire face au COVID-19, la médecine de ville est, pourtant, une réponse efficiente au désengorgement des hôpitaux et à la limitation des risques de contamination.

Comment, alors, expliquer la baisse d’activité de nombreux médecins généralistes en pleine pandémie ? Pourquoi la gouvernance de santé ne s’appuie-t-elle pas davantage sur elle ? Analyse et témoignages.

Les rendez-vous chez les médecins généralistes libéraux en chute libre

-64% : c’est l’évolution du nombre de rendez-vous observée chez les médecins généralistes de la communauté MadeForMed entre le lundi 2 mars et le lundi 30 mars.

Un chiffre qui en dit long sur la place accordée à la médecine de ville dans la lutte contre la propagation du COVID-19.

Le fait que les Français, respectueux du confinement et des gestes barrière, n’aient pas besoin de consultation médicale est, certes, une première explication. Elle n’en est, malheureusement, pas la seule.

Conseiller aux Français d'éviter les sorties médicales "ne pouvant être assurées à distance et pouvant être différées" inquiète une bonne partie des médecins généralistes.

Un retard de diagnostic peut entraîner une aggravation d'une pathologie présumée. Quant à l'auto-médication, elle n'est évidemment pas une option recommandable. Pour ce qui est de la téléconsultation, outre son utilité démontrée dans la gestion de certains patients COVID-19, elle ne se substitue pas, dans tous les cas, à une consultation physique où l'examen clinique reste le plus sûr.

Une position défendue, notamment, par les représentants de certains syndicats.

 

Le 15, sur-sollicité, oublie les cabinets libéraux qui se sont réorganisés pour faire face à l’épidémie

Explication encore plus préoccupante : par méconnaissance de créneaux disponibles et dédiés spécifiquement au COVID-19 chez les médecins libéraux alentours, le 15 oriente massivement les patients vers l’hôpital.

Une situation que regrette, notamment, David Azérad, généraliste au sein d’une maison de santé située dans le 20ème arrondissement parisien : « dès la mi-mars, les médecins libéraux de mon secteur ont été capables de s’organiser en un temps record pour réserver des plages de consultation et créer des espaces d’attente pour les patients COVID-19. Le tout, en gérant en parallèle l’activité quotidienne de leurs cabinets ».

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Les médecins de ville se sont vite réorganisés pour prendre en charge les patients à risque (Photo AFP)

 

En moins de 10 jours, le dispositif est, effectivement, en place. Cinquante des cent-cinquante généralistes que compte la zone concernée libèrent deux à trois créneaux par jour pour recevoir ces patients inconnus, avec un objectif commun : permettre au 15 de réguler leurs affectations et désengorger les urgences de secteur.
Aujourd’hui, ces plages de consultation sont inutilisées.

Enfin, nombreux sont les patients n’ayant, à ce jour, pas de médecin traitant ou ne connaissant pas de généraliste à proximité de leur lieu de confinement. Conséquence : en cas de symptômes légers, ceux-ci composent le 15 … et sont redirigés vers les urgences de secteur.

La boucle est (malheureusement) bouclée.

Un hospitalo-centrisme exacerbé en période de crise

«La communication faite autour du COVID-19 donne l’impression que d’une simple grippette, nous sommes  passés à une pathologie ne se traitant qu’à l’hôpital. » : constate David Azérad. Or, parmi les patients atteints du COVID-19, 80% sont paucisymptomatiques, 15% ont simplement besoin d’une évaluation hospitalière et d’une surveillance rapprochée,  2 à 5%, enfin, sont des cas graves, nécessitant une réanimation.

L’hôpital n’est donc pas une nécessité absolue.
Loin s’en faut. Il n’est, surtout, pas en mesure de gérer l’intégralité des patients.

Pour 95% des cas observés, la médecine libérale, sous réserve de faire confiance en sa capacité d’auto-organisation et en l’équipant de façon sûre, est une réponse efficiente au désengorgement des structures hospitalières.

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Une sacralisation de l’hôpital, ancrée dans le système de santé français, dont les limites et les vieux réflexes ressortent en période de crise. « L’hospitalo-centrisme est, pour moi, le dernier soubresaut de l’ancien monde. Celui où on n’était pas capables de raisonner en système complexe et complémentaire. Depuis une dizaines d’années, on essaie de faire communiquer ville et hôpital, en vain » déplore le généraliste parisien. « En ce moment, alors que l’on a l’occasion de les faire travailler ensemble, on a l’impression que moyens, applaudissements et honneurs ne sont dirigés que vers l’hôpital, au détriment de la médecine de ville et de toutes les fonctions support. Dommage », conclut-il.

Une vision partagée sur Twitter, entre autres par ce médecin généraliste breton.

 

Faire confiance à la médecine de ville

Masques FFP1 rationnés (18 par semaine et par praticien), reconnaissance (très) limitée dans les discours gouvernementaux : depuis le début de la crise sanitaire, la médecine libérale fait figure de parent pauvre et oublié des hautes instances et autres maîtres penseurs.

 

Incompréhension répandue autour des « COVID-rooms »

Seule initiative gouvernementale à l’encontre de la médecine de ville : la mise en place de « COVID-room » (également appelées « centres covid » ou « covidodromes ») : des salles de consultation équipées pour recevoir des patients suspects ou diagnostiqués porteurs de la maladie.

Ces espaces dédiés sont-ils adaptées aux besoins de la médecine libérale ? Rien n’est moins sûr.  Les salles de consultation des médecins sont loin d’être débordées, d’abord.  Pourquoi recourir, alors, à une infrastructure tierce ?

Il paraît, ensuite, peu raisonnable, en termes de santé publique, de mélanger patients suspects, cas avérés de covid-19 et soignants mal protégés, le tout dans un espace confiné. Pourtant, des centaines de milliers d’euros sont consacrés à la mise en place de ces lieux de consultation dédiés. Une situation décriée par de nombreux praticiens.

 

Des organisations alternatives

Des initiatives locales, répondant aux besoins du terrain émergent. Leurs instigateurs : des médecins généralistes libéraux, conscients du rôle qu’ils peuvent jouer dans la gestion de cette crise sanitaire.

La mise en place d’une CPTS dans le vingtième arrondissement parisien est l’une d’elles. Objectif : soulager le 15, via la mise en place d’une ligne téléphonique commune permettant de rediriger les patients COVID-19 de ce bassin de population, vers des généralistes disponibles et situés à proximité de leur domicile.
Vertus du projet : désengorger l’hôpital, évidemment, mais aussi limiter les risques de propagation du virus grâce à la redirection des patients vers des cabinets médicaux distincts, tous équipés pour recevoir les patients COVID-19 dans des espaces et à des créneaux horaires dédiés.

Si le projet est simple et parfaitement adapté à la situation, il peine à obtenir tous les moyens nécessaires à son déploiement. « La CPTS est en cours de structuration depuis un an, les financements ont été votés à l’ARS, la structure juridique existe. Le seul point de blocage a été le financement du salaire de la secrétaire en charge de recueillir et de rediriger les appels», déplore David Azérad, l’un des membres fondateurs de la CPTS.
Fort heureusement, la mairie du vingtième arrondissement, habituée à échanger avec le collectif de médecins et consciente de l’intérêt de ce projet a contrario de la création d’une covid-room, a débloqué la situation. La ligne de délestage des urgences est ouverte depuis le week-end du 28 mars et regroupe une cinquantaine de médecins.

 « Faites-nous confiance. Nous sommes tout-à-fait capables de participer à l’effort de guerre parce que c’est notre mission première » : exhorte, pour conclure, David Azérad. Un message, porté et partagé par nombre de généralistes français, en quête de considération. Espérons qu’il soit entendu.

La médecine libérale a la capacité de donner énormément pour aider à vaincre cette épidémie inédite de notre histoire récente. Donnons-lui simplement les moyens et la confiance nécessaires pour qu’elle le prouve rapidement et auprès du plus grand nombre.

Nous vous invitons à réagir, partager vos convictions et relayer cette idée à défendre.