Mise à l’écart lors de la phase épidémique du Covid-19, la médecine de ville semble retrouver grâce aux yeux de l’exécutif. Placée « en première ligne » du dispositif de déconfinement présenté par Edouard Philippe le 29 avril dernier, son rôle est double : suivre les patients Covid-19 et repérer les cas contacts, en relation avec les brigades sanitaires de l’Assurance Maladie.
En contrepartie : une rémunération de 55€ par patient positif, comprenant la consultation et la saisie informatique des coordonnées des membres de la cellule familiale, est reversée aux praticiens. Que pensent les médecins libéraux de cette mission qui leur nouvellement est assignée ? Comment sont-ils organisés ? Que pensent-ils des mesures prises ? Nous leur avons posé la question.
Le sentiment est unanime. Impossible, pour les médecins de ville, d’imaginer ne pas prendre part à la gestion sanitaire de cette phase de déconfinement. Recevoir des patients, diagnostiquer, prescrire des tests ne va pas changer fondamentalement leur quotidien ni leur pratique de la médecine.
« Ce rôle pivot de diagnostic et d’orientation est le nôtre. C’est notre travail. Personne ne peut le faire à notre place », affirme le Docteur Teglia, situé à Bruz, en Ille-et-Vilaine.
Le traçage des cas contacts est la seule nouveauté imposée par le dispositif.
Des attributions logiques et plutôt rassurantes pour le Docteur Roung, situé à Nancy : « nous sommes les premiers à dépister de potentiels foyers. Que l’on soit en charge du dépistage et du traçage des cas contacts proches, ne nous dérange pas, même si ces missions sont chronophages. Bien au contraire. La plupart de nos syndicats se sont battus pour que nous soyons au cœur du système dans cette période inédite. Je suis satisfait que nous n’en soyons pas écartés ».
Quant à la rémunération de la consultation réévaluée à 55€, les deux médecins ne cachent pas leur satisfaction. « C’est largement payé », avoue, même, Franck Roung.
La mobilisation de la médecine de ville est d’autant plus normale que la profession est en ordre de bataille depuis le début de l’épidémie.
« Je suis organisé pour accueillir les patients depuis le 11 mars », confesse Pierre Teglia, dont la commune, identifiée parmi les premiers clusters, a été placée en confinement une semaine avant le reste de l’hexagone. N’ayant pas reçu de cas avérés de Covid-19 depuis 4 semaines, il avoue, toutefois, avoir mis son dispositif de consultation spécifique en veille. Alors que 15 créneaux de consultations par jour étaient réservés aux patients potentiellement infectés depuis le début de l’épidémie, il n’en conserve, aujourd’hui, plus que 3.
Du côté de Nancy, pas de cas positifs post-déconfinement, non plus, malgré une dizaine de dépistages déjà réalisés.
« On risque d’avoir un taux de 90% de négatif. C’est, à peu près la tendance annoncée dans le Grand Est. Nous ne sommes pas spécialement débordés. L’organisation ne change pas fondamentalement par rapport à celle que nous avons mise en place pendant le confinement » explique le Docteur Roung.
Si les patients hors Covid commencent à retrouver le chemin des cabinets, les malades suspectés d’être infectés par le coronavirus, eux, sont, dans les deux régions, encore peu nombreux. Pour les médecins, le seul changement organisationnel consiste à identifier les centres de dépistage de façon à y rediriger les patients, avec toutes les informations et précautions d’usage.
Au niveau national, le nombre de cas semble reculer également, montrant les effets du confinement. Le 19 mai, la Direction Générale de la Santé annonçait 291 interventions pour suspicion de COVID-19 par SOS médecins, soit 5% de l’activité totale. Les services d’urgence ont noté, quant à eux, 766 passages pour ce même motif, soit 3% de l’activité totale. Les nouvelles admissions sont en baisse, également : de 670 en 24 heures il y a une semaine, elles sont passées à 506 ce mardi 19 mai.
Autres rôles assignés aux médecins de ville en cette période de déconfinement : rappeler les gestes barrière et rassurer les patients les plus inquiets.
Rien de nouveau sous le soleil : ces deux missions ont toujours été au cœur de l’exercice de la médecine de ville. En cette période de pandémie, elles revêtent, toutefois, un rôle de santé publique encore plus marqué.
«Soit je commence, soit je termine chacune de mes consultations par un point de situation Covid », affirme le Docteur Teglia. « Description des gestes barrière, rappel des vertus de la distanciation sociale et du port du masque : ces éléments font partie de mon quotidien depuis deux mois », poursuit-il.
Quelques explications de fin de consultation qui ont leur importance : un sondage de l’Ifop révélait, en effet, le 22 avril dernier, que seuls 67 % des Français pratiquaient une « toilette complète » quotidienne en période de confinement. Rappeler les règles d’hygiène qu’elles soient basiques ou destinées à lutter contre le coronavirus, n’a donc rien d’anecdotique.
A contrario, les médecins ont également besoin de rassurer certains patients, hypocondriaques ou simplement anxieux face au flot d’informations, parfois alarmistes, que media et gouvernement diffusent chaque jour. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé quant aux populations à risque inquiètent nombre d’entre eux.
« J’ai reçu une femme avec un retard de règles de trois jours. Terrorisée à l’idée d’être enceinte et de contracter le Covid-19, elle m’a demandé un arrêt de travail. J’ai dû lui préciser que le virus pouvait représenter un éventuel danger au troisième trimestre de grossesse, mais pas avant », raconte Pierre Teglia.
Mêmes causes, mêmes effets pour les patients diabétiques ou souffrant d’hypertension. Beaucoup sont inquiets alors que l’hypertension, due à l’âge, fait partie de la vie et touche une personne sur trois à partir de 65 ans.
Si la coordination avec les hôpitaux reste malheureusement rare, les médecins travaillent, en revanche, en étroite collaboration avec les laboratoires.
L’URPS de leur zone géographique leur indique quels sont ceux qui pratiquent les tests RT-PCR, et sous quelles modalités (horaires dédiés, en drive ou dans le laboratoire…). Que le médecin traitant soit le prescripteur du test ou non, il reçoit systématiquement les résultats. Un patient pris en charge par SOS Médecins le week-end ou la nuit, sera, ainsi, signalé à son praticien de ville, qui pourra en assurer le suivi.
Quelques ratés sont, toutefois encore à déplorer :
« j’ai appris, par hasard la transformation du centre Covid situé près de mon cabinet en centre de dépistage », regrette le Docteur Roung. « Sa mutation en centre de test est, néanmoins, une excellente idée : la prise en charge est rapide et sans rendez-vous. Je peux y rediriger mes patients, tous les jours entre 13h et 16h », précise-t-il.
Si l’on se fie aux procédures fournies par l’Assurance Maladie, le processus de dépistage ressemble peu ou prou à une gigantesque « usine à gaz ». Une cinquantaine de pages expliquant comment prendre en charge un patient Covid, des organigrammes fléchés pour « aider » à la réalisation des arrêts de travail, le tout réalisé par des gens, manifestement, peu familiers de la médecine de terrain. De quoi y perdre son latin…
Heureusement, certains médecins, conscients de cette complexité, ont conçu des arbres décisionnels simplifiant la prise en charge et le suivi des patients positifs.
Le Docteur Teglia en a fait l’expérience très récemment :
« j’ai reçu, hier soir, un appel d’une mère de famille dont la fille pourrait être infectée, après une journée passée entre amis le 11 mai, jour de déconfinement. Je l’ai orientée vers le laboratoire, en lui disant de s’y rendre entre 14h et 14h30 et de rester sur le parking. En attendant les résultats, tous les membres de la famille resteront confinés. Si le test est positif, la quarantaine sera prolongée de 14 jours. J’identifierai, alors, les cas contacts en interrogeant précisément la patiente et son entourage proche, puis je les signalerai à la Sécurité Sociale ».
Parmi une série de mesures destinées à revaloriser la médecine de ville, Conseil de l’Ordre et syndicats préconisaient, début mai, la mise en place d’une consultation obligatoire de déconfinement.
Objectifs : reprendre le suivi des pathologies chroniques et compenser la baisse d’activités des cabinets libéraux observée pendant le confinement.
Une idée qui ne rencontre pas un franc succès. Pour le Docteur Roung, une telle mesure n’aurait pas beaucoup d’intérêt, d’autant que, le renouvellement automatique des ordonnances en pharmacie n’est valable qu’une fois. Les patients vont donc, mécaniquement, reprendre le chemin des cabinets. Une situation que le praticien observe déjà. Quelques jours après le déconfinement, son établissement semble, déjà se repeupler, lui permettant de revenir à un rythme de consultations quasi-normal. Alors que le praticien nancéen réalisait deux tiers de ses consultations en vidéo pendant le confinement, aujourd’hui, il ne « téléconsulte » plus qu’à hauteur de 10%, environ.
Même son de cloche en Bretagne :
« Ce qui est fait est fait. On ne va pas rattraper. Mon activité a baissé, certes, mais je ne suis pas à plaindre. J’ai beaucoup travaillé cet hiver. Je sais que les patients vont revenir. J’ai du travail pour les 30 ans à venir… et jusqu’à ma mort ! », explique, lucide, le Docteur Teglia.
La téléconsultation a permis de garder le lien avec certains patients atteints de maladies chroniques. Elle a, également, donner la possibilité de facturer des actes, auparavant réalisés gratuitement, compensant, ainsi, une partie du chiffre d’affaires perdu.
La mise en place, ce vendredi 15 mai, d’une aide nette d’impôt et de charge avoisinant les 2000€ pour tous les médecins libéraux, à laquelle s’ajoute le report, à 2021, de trois mois de prélèvements de cotisations (avril/juin) vont permettre, également, de soulager les cabinets les plus touchés par la baisse d’activité.
Inédite et complexe, cette crise sanitaire a engendré des prises de décisions délicates, et parfois mouvantes d’une semaine à l’autre. Une situation comprise par une majorité des médecins de ville, même si certains d’entre eux dénoncent quelques ratés de communication au début de l’épidémie et remettent en question quelques mesures prises à la hâte. Parmi elles, la possibilité de renouveler un traitement en pharmacie ou la création de centre-Covid, véritables nids de contamination potentiels, finalement peu utilisés sur l’ensemble du territoire national.
« Les gouvernants sont comme nous. Au fur et à mesure, nous découvrons les choses. Nous nous adaptons au cas par cas. C’est notre rôle. Ca ne me gêne pas. La crise a été bien gérée. Les bonnes mesures ont été prises », affirme Franck Roung.
De manière générale, confinement, déconfinement progressif, dispositif de tests et de traçage sont des mesures appréciées et jugées efficaces par la médecine libérale de terrain, la positionnant parfois en décalage avec certains représentants de la profession, devenus des habitués des plateaux de télévision.
« Je ne me sens pas représenté par cette flopée de médecins et d’urgentistes invités sans arrêt sur les chaînes d’informations continues. Leur propos n’est que critique. Les masques, nous n’en avions pas. C’est comme ça. Les autorités ont tout fait pour que nous puissions en avoir et nous avons été les premiers servis. Aujourd’hui, nous en avons plus qu’il n’en faut. On ne peut pas jeter la pierre, alors que nous avions des informations inexistantes ou erronées », conclut Franck Roung, confiant pour l’avenir.
Espérons que la suite des événements lui donnera raison, tant en matière de santé publique que de reconnaissance de la médecine de ville.