Les médecins ont-ils droit au repos ?
86%*. C’est la proportion de jeunes médecins estimant l’équilibre de leurs vies personnelle et professionnelle primordial dans l’exercice de leur métier. A l’heure où le bien-être au travail occupe le devant de la scène en entreprise, la rédaction de MadeForMed s’est demandé si les médecins libéraux pouvaient, eux aussi, repenser leur façon de d’exercer. L’enjeu : travailler moins…pour travailler mieux.
Bye bye le temps où le médecin libéral se positionnait en sauveur inépuisable de l’humanité. En 2021, le généraliste, à l’instar du cadre en entreprise ou du freelance, avoue, lui aussi, être tenté par cette fameuse « vie après le travail » dont l’existence, pour certains, relève encore de la légende urbaine. Rien de grave, Docteur. Cette volonté est normale et même louable puisqu’elle s’inscrit dans une évolution sociétale forte et globale. Télétravail, coworking envahissent le milieu de l’entreprise.
Travailler moins ou différemment a, même, déjà fait ses preuves. Faire une micro-sieste en milieu de journée augmenterait, par exemple, notre productivité de 35%. Une étude sérieuse, menée en 2015, par la Nasa, excusez du peu…
Pourquoi les médecins seraient-ils, alors, injustement tenus à l’écart de ces tendances de fond ? Ces modèles (ou d’autres) sont-ils transposables à la médecine générale ? Quels sont les risques pour la profession ? Comment envisager de travailler moins à l’heure des déserts médicaux ? Le débat est lancé.
Une crainte : travailler moins pourrait encourager le nomadisme médical
Première conséquence possible d’une réduction du temps de présence en cabinet : l’allongement des délais de rendez-vous…et le développement outrancier du nomadisme médical. Ce n’est un secret pour personne. Les patients d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Immédiateté et proximité sont leurs maître-mots alors qu’ils sont en quête d’un généraliste. En s’offrant le luxe d’être moins présents au cabinet, les médecins peuvent encourager leurs patients (et ceux de leurs confrères) à papillonner d’un praticien à l’autre dans le but, notamment, d’obtenir la sacro-sainte ordonnance ou le vénéré certificat médical. Soit. La situation n'est pas inextricable. Comment alors concilier vie professionnelle efficace et vie personnelle préservée à l’heure où les déserts médicaux sont de plus en plus répandus ?
Quelques pistes de réflexions pour trouver un meilleur équilibre de vie
Réorganiser les consultations
Le traitement de l’aigu ne fait pas partie des missions les plus exaltantes du généraliste. Pour le patient, la prise de rendez-vous dans ce cadre peut être anxiogène ou frustrante. Afin de parer au plus pressé, des sessions de consultation rapides, dédiées uniquement à ce besoin, pourraient être planifiées. Un exemple parmi d’autres qui permettrait d’améliorer le confort de tous et d’octroyer plus de temps aux autres patients le reste de la journée. Le prérequis indispensable est simple : définir clairement les règles du jeu et respecter les engagements affichés. Par exemple : 10 minutes de consultation maximum par patient, du lundi au vendredi, de 10 heures à 11 heures.
S’organiser intelligemment entre confrères
La situation se produit régulièrement. Un patient souffre d’un problème aigu. Son médecin n’est pas disponible pendant plusieurs jours. Des possibilités de consultations connexes doivent lui être offertes. Parmi elles, l’opportunité d’être mis en relation, de façon privilégiée, avec un confrère recommandé. Objectifs : organiser une continuité dans la façon dont les soins sont prodigués et proposer un suivi proche et respectueux du rapport humain établi entre le patient et son praticien initial. Le patient se sent alors considéré. Le médecin profite de ses temps de pause, sans culpabiliser.
Téléconsulter avec discernement et parcimonie
Comme le cadre qui « télétravaille », le médecin libéral peut aussi exercer ailleurs que depuis son cabinet. Si la téléconsultation présente des limites, elle permet ponctuellement et pour une certaine typologie de patients, de s’affranchir de l’examen clinique. De quoi dégager un temps précieux, voire salvateur, ou parer à quelques situations imprévues tout en menant à bien, et avec conscience, sa mission.
Travailler avec un assistant médical
Autre moyen d’alléger la charge de travail du généraliste : confier à un assistant médical la préparation du patient ainsi que la prise de ses constantes. Comme à l’hôpital ou dans un centre de radiologie, par exemple, le médecin n’intervient, alors, que pour les phases d’auscultation, de discussion et de prescription.
Personnaliser et temporaliser la relation patient-médecin
Le médecin libéral peut aussi se rendre disponible sans être présent physiquement dans son cabinet. Mieux. Il peut choisir pour quel(s) patient(s) et quand rester joignable.
Exemple : une patiente est enceinte. Le dernier examen clinique révèle le développement possible d’une pathologie. Une surveillance est nécessaire. En connectant sa téléphonie à son agenda médical, le généraliste peut suivre l’évolution de son état de santé à distance.
Le principe est simple : il lui suffit de regrouper dans un « pool » temporaire les patients pour lesquels il souhaite rester joignable. Sa disponibilité peut se limiter à une certaine heure de la journée (jusqu’à 21 heures, par exemple), à une tranche horaire (le samedi matin), ou à un laps de temps exceptionnel lorsque la situation l’exige (24 heures sur 24).
Ce « pool » est éphémère : les patients concernés n’y restent que le temps de surveillance nécessaire. Le médecin n’est, alors, plus dans l’obligation de laisser son numéro de portable (sans jamais pouvoir le récupérer). Sa présence au cabinet est facultative. Il reste, néanmoins, au service des patients qui en ont besoin ponctuellement. Le bénéfice est double : le médecin reste informé de l’évolution de l’état de santé de sa patiente, sans être prisonnier de son cabinet et profite de ses temps de pause sans culpabiliser. C'est dans cet état d'esprit que nous avons développé MadeForMed.
S’octroyer des moments de repos : l’option est donc envisageable dans la médecine libérale, comme ailleurs. Les clés pour y parvenir : des outils adaptés et un soupçon de créativité. Dans ces conditions, l’allègement de la charge de travail du praticien pourrait même répondre à un autre enjeu fondamental de la médecine de ville : fluidifier, apaiser et valoriser la relation patient-médecin.
*Etude TNS Sofres - SIHP - Les aspirations professionnelles des jeunes médecins d’Ile-de-France - 2013